PREMIER JOUR AUX ILES FÉROÉ
PREMIER JOUR AUX ILES FÉROÉ
21 janvier 2017
J’avais le coeur gros lorsque je débarquais sur le sol féroïen en provenance de Reykjavik ce mois de janvier 2017. Je ne venais pas de Paris, linge plié dans un sac bien rangé non, je venais d’affronter 10 jours durant les Westfjords islandais.
Cela faisait longtemps que je m’étais fait cette promesse.
10 jours de solitude à arpenter les fjords, les tempêtes de neige et les routes bloquées, la nuit qui tombe à 15 heures et des paysages qui vous laissent en lambeaux.
Le déclencheur fut l’amour d’une fille que j’avais croisé l’été 2016, un « amour de vacances » dans les Westfjords. Cela n’est pas commun vous me direz, de rencontrer quelqu’un dans ces contrées. Le magnétisme, la magie de l’endroit avait du nous troubler. Las, l’histoire n’a pas duré mais j’ai voulu revenir, marcher dans nos pas pour revivre sur le 66e parallèle ces instants partagés.
Mal m’en a pris : mélanger tempête et cœur blessé ne fut pas la meilleure de mes idées. Vous découvrirez bientôt ce voyage qui, s’il fut éprouvant, m’a permis de tenir ma promesse : découvrir les Westfjords en janvier.
Et puis vint le temps de changer. Prendre l’air. Découvrir une nouvelle terre. Une cousine, une sœur de l’Islande : les îles Féroé.
La décision fut prise quelques semaines auparavant suite au soutien de l’équipe de Visit Faroe Islands.
Cela va te surprendre mais je n’avais rien préparé, rien lu, rien vu sur les Iles Féroé. Je voulais me sentir comme un naufragé, débarquant là sans rien connaître, faisant ainsi de chaque route, chaque chemin, un trésor de découverte. Cette aventure durera 18 jours. Voici le récit de ma première journée.
Je séjournais à l’Hôtel Foroyar. Tout le monde le connaît. C’est LE grand hôtel des Féroé. On y célèbre les mariages, les grands évènements, on y reçoit les présidents (Bill Clinton a laissé son nom à une suite). Nichées dans le sol et surplombant la ville, les chambres donnent toutes sur la baie. Chaque matin c’est un miracle de couleurs, de lumières et de reflets.
D’ici on aperçoit le port. J’aime les villes qui ont un port. Je me suis souvent dit que c’est un parfum qui manque à Paris.
Qu’allais-je faire de cette journée ? Je n’ai écouté que mon désir, celui de tourner à gauche en sortant de l’hôtel et prendre la 50, cette ancienne route souvent plongée dans le brouillard qui parcourt l’épine dorsale de Streymoy. C’est une des plus belles routes des Féroé, pourquoi résister ?
Qu’on ne s’y trompe pas. La lumière ne se répend pas comme un liquide.
Elle est solide, compacte, c’est un serpent de photons qui se glisse lentement dans les creux du Kollafjørður.
Passé le long tunnel me voici sur Vágar. Depuis Sandavágur on aperçoit d’autres îles dont je ne connais pas encore le nom. J’observe le spectacle. La lumière est basse, puissante et fragile à la fois.
Je me dirige vers LE LAC. Sur tous les plans il sème le trouble. Pour commencer il a deux noms : Sørvágsvatn ou Leitisvatn, c’est selon. Les féroiens l’apellent « Le lac », cela résout ainsi la question.
Trouble visuel ensuite car ce lac semble suspendu au dessus des flots comme les jardins sur Babylone. Je passe ma première heure à longer ses eaux calme. Le contraste avec l’océan au loin est frappant.
Arrivé sur les falaises Trælanípa je prends la mesure des éléments qui me font face. Ici tout n’est qu’angle droit. Horizontales et verticales forment le paysage. La nature joue les Mondrian.
Je m’aventure sur les sommets. J’atteins le point de vue tant espéré. D’ici on s’offre l’impensable, les éléments se jouent de la réalité. Je m’aventure tout près du bord. Le vent souffle si fort, 200 mètres plus bas l’océan est déchainé. D’une main tremblante je tiens le boitier, de l’autre j’agrippe le rocher.
Plus bas j‘aperçois la chute Bøsdalafossur, cordon ombilical qui relie les eaux claires et les eaux salées. Juste derrière les Geituskorardrangur, canines de basaltes de la côte sud de Vágar. Là-bas tout au fond l’île de Mykines qui me fait tant rêver.
Je voudrais rester ici, en profiter, mais j’ai un autre projet pour la journée. Il est 12h30, j’ai une heure pour rejoindre la voiture… cela nous donne 13h30 ? ok. Le soleil se couche à 15h58 précises. J’ai 3 heures pour franchir la montagne.
J’ai pressé le pas et ce petit quart d’heure d’avance me permet de tenter d’approcher le doigt de tröll, le «Trøllkonufingur».
Il est aussi haut que la tour Eiffel (313 m) pourtant je ne sais comment l’atteindre, il se dérobe à chacun de mes pas. Je marche à travers une lande gorgée d’eau, sautant les clôtures, m’extirpant des buissons, en quête d’un point de vue qui lui rende toute sa majesté.
J’ai retrouvé la voiture. Il est temps de faire route vers l’ouest, il est déjà 14h passé. Je m’arrête à Bøur, hypnotisé. C’est le plus beau village que je n’ai jamais croisé.
Je passe cette rivière puis gare ma voiture au bout d’un chemin. Là je prends mes deux boitiers autour de mon cou et m’apprête à grimper la montagne Heinanøva qui culmine à 612 mètres.
Quel est mon but ? Eviter le tunnel et rejoindre Gásadalur à pied, par la montagne. Mais pourquoi ?…
Jusqu’en 2004 Gásadalur « la vallée des oies » était un des villages les plus isolés au monde. Le seul moyen de l’atteindre (ou de le quitter !) étaient d’arpenter un sentier de 3,5 km qui passe par la montagne. Ce tracé escarpé de 2h30 était utilisé par le postier trois fois par semaine quelles que soient les conditions climatiques.
Je voulais marcher dans ses pas pour lui rendre hommage et profiter des points de vue incroyables sur Sørvágsfjørður, Tindhólmur, et Mykines. Je ne voulais pas découvrir Gásadalur autrement que par les yeux du postier.
Je ne vous cache pas que, démarrant cette randonnée à 14h30 seul et sans lumière, j’étais un peu stressé. Mais je me suis offert pour les mêmes raisons un soleil couchant et Tindhólmur à contre jour, accompagnés de fulmars frôlant mon épaule à chaque fois que je m’approchais du vide.
Quel sentiment d’exaltation à la découverte de Mykines, proue des îles Féroé, silencieusement posée sur l’océan face à moi. Elle semble déserte et pour cause : seuls 10 habitants y trouvent refuge, nichés dans une vallée sur le versant ouest, de l’autre côté.
Je ne le sais pas encore, mais j’irai quelques jours plus tard en hélicoptère (seul moyen de l’atteindre en hiver) rejoindre le village de Mykines pour y vivre une aventure extraordinaire (à lire dans un prochain récit).
Arrivé au sommet la vue est indescriptible mais je dois faire vite car le ciel s’assombrit.
Je cavale sur le sentier qui descend vers le village. La pente est raide et les cailloux roulent sous mes pieds. J’atteins bientôt la route et me dirige vers Múlafossur, la chute emblématique de Gásadalur.
Il n’y a personne. Le fracas des vagues couvre mon vague à l’âme.
L’image est irréelle et les sensations, immenses.
Je pose mon trépied car la lumière a disparu. 30 secondes me seront nécessaire pour capturer cette image.
Il est 16h57.
Dans une minute il fera nuit.